Éclairage, peur de la nuit et sécurité – La nuit, je vis ! Article #2

Nous vous annoncions récemment la publication d’une synthèse sur les enjeux psychosociaux de la réduction de la pollution lumineuse, dans le cadre du projet La nuit, je vis. Un travail d’enquête a ainsi été réalisé pour mieux comprendre les pratiques, puis a été mis en lien avec les éléments disponibles dans la littérature scientifique et les retours d’expériences. Cet article est le deuxième d’une courte série présentant quelques résultats de ces enjeux psychosociaux. Retrouvez le premier « Réduire ou éteindre partiellement l’éclairage en cœur de nuit : quels retours d’expériences des communes qui ont passé le cap ? »

La diminution de l’éclairage artificiel, voire son extinction, redonne sa place à l’obscurité nocturne et pose la question de nos représentations et habitudes liées à l’espace-temps particulier qu’est la nuit. Très rapidement, la perspective d’une réduction de l’éclairage entraîne des craintes sur la sécurité des biens et des personnes. Cette peur de l’insécurité est d’ailleurs souvent le premier frein qu’évoquent les élu·es dans la mise en place d’une extinction de l’éclairage, en vue de lutter contre la pollution lumineuse. Alors qu’en est-il quand on regarde les expérimentations et recherches scientifiques sur le sujet ?    

L’absence d’éclairage et la sécurité des biens et des personnes, un lien difficile à établir

Du côté de la sécurité des biens et des personnes, les résultats sont très épars concernant le lien entre criminalité et éclairage, en atteste l’état des savoirs proposé par S. Mosser (2007). Les recherches font état d’un grand nombre de biais qui ne permettent pas de donner des certitudes quant à l’augmentation ou la baisse de la criminalité avec la réduction de l’éclairage public.

Par exemple, toujours d’après Mosser, il a été observé dans certains cas qu’une augmentation de l’éclairage avait donné lieu à une réduction des faits criminels. Il s’avère cependant que cela a coïncidé avec l’augmentation des patrouilles de police, démontrant dès lors plutôt un effet de la politique de renforcement de la sécurité globale. A l’inverse, d’autres cas montrent que l’extinction n’a pas entraîné d’augmentation de la criminalité, mais en émettant la réserve que la délinquance a pu se déplacer dans l’espace (autre quartier, autre rue) ou dans le temps (plus tôt dans la journée). En conséquence de cette absence de consensus scientifique, les parties prenantes mobilisent un corpus ou une étude plutôt qu’une autre en fonction du message qu’elles souhaitent communiquer ou défendre (voir par exemple cet article).

On peut cependant dégager quelques éléments généraux de ce couple éclairage – criminalité :

– L’influence de l’absence ou de la présence d’éclairage dépend du type de délit considéré. Certains délits pourraient profiter de l’absence d’éclairage comme le vol de voiture. Tandis que d’autres délits sont freinés par l’extinction de la lumière, par exemple le trafic de stupéfiants. De même, pour la sécurité routière, certaines communes observent une baisse des accidents de la route : avec la diminution de l’éclairage, les conducteurs et conductrices sont incités à ralentir.

–  L’absence de lumière tend plutôt à diminuer les nuisances, car on observe une moindre occupation de l’espace public (ce qui n’empêche pas les effets de déplacement).

–  On peut constater que dans les faits de cambriolage chez les particuliers, ceux-ci sont réalisés en journée dans environ 80% des cas. Cependant, la grande majorité des cambriolages en entreprise ont lieu la nuit. Ce n’est donc pas là le caractère éclairé qui influe sur le délit, mais le fait que les bureaux soient vides.

L’absence d’éclairage et le sentiment d’insécurité : des craintes liées à l’obscurité ou des craintes liées à la nuit ?

En ce qui concerne le sentiment d’insécurité, il est complexe à isoler, et donc à résoudre1. Il fait l’objet de nombreuses recherches et études qui montrent qu’il varie selon des variables individuelles (comme son expérience de l’espace fréquenté, la victimation…), des variables sociales (la vulnérabilité de son groupe d’appartenance, être une femme, être âgé…) ainsi que les contextes idéologiques en vigueur (bruit médiatique, représentation des espaces perçus comme menaçants…) ou spatiales (les dégradations perçues dans le quartier).

La nuit est un temps favorable à l’émergence de ce sentiment d’insécurité, du fait de l’imaginaire et des représentations que celle-ci véhicule. En effet, depuis les contes racontés au coin du feu ou du lit des enfants, la nuit est le lieu des esprits maléfiques et des monstres : le glissement est facile vers les usages perçus comme négatifs de cet espace-temps. La nuit reste dévalorisée dans ses usages contraints ou marginalisés (travail de nuit, prostitution, personnes à la rue, etc.). Les émotions rattachées à la nuit sont donc plutôt négatives, héritées de cet imaginaire partagé, renvoyant également à la victoire préhistorique du feu sur l’obscurité.

Pour autant ces craintes ne sont pas nécessairement congruentes avec les risques encourus. C’est le cas notamment pour les femmes, pour qui l’espace public la nuit apparaît particulièrement risqué, alors que les agressions contre les femmes arrivent le plus souvent dans l’espace privé, par des personnes connues de la victime.

Une étude réalisée dans la ville d’Helsinki (Koskella, 1999) concernant les femmes et la nuit a montré que la peur est la même lors de nuits d’été (naturellement éclairées) que celles d’hiver. L’obscurité n’est donc pas ce qui induirait le sentiment de peur, mais plus l’espace-temps de la nuit en tant que tel.

L’éclairage n’apparaît donc pas comme une causalité unique du sentiment d’insécurité. Celui-ci est d’ailleurs souvent évoqué de manière déclarative en anticipation d’un changement d’éclairage, mais beaucoup moins de manière évaluative lors de mises en situations de ce changement. Il est pour autant important de prendre celui-ci en compte en amont des extinctions afin de ne pas créer de comportement d’évitement de l’espace public.

Prendre en compte les craintes liées à l’insécurité pour mieux adapter 

Quelques préconisations peuvent être proposées pour prendre en compte le sentiment d’insécurité, notamment en :

  • S’appuyant sur les usages et les contextes (quelles heures de la nuit, semaine/week-end, quels axes…), avec des cartes collaboratives permettant de dégager les zones “sensibles”,
  • S’appuyant sur les retours d’expériences existants ailleurs, aux bonnes pratiques,
  • Proposant une démarche progressive et réversible ou adaptable selon les usages des habitants et habitantes
  • S’appuyant sur un comité réunissant habitant-es, police ou gendarmes qui permet des ajustements, ou d’observer l’impact sur les délits, comme l’ont fait de nombreuses communes (Tulle et Lancaster, pour celles déjà citées dans cet article).

 

 

Envie d’en savoir plus ? Consulter la synthèse et les résultats complets de notre étude

 

Le projet La Nuit, Je Vis, un partenariat URCPIE AuRA et FNE Auvergne-Rhône-Alpes, bénéficie du soutien de l’Office français de la biodiversité et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

 

1 voir à ce sujet une synthèse de M. Fansten

Rédaction : Hélène Chiron et Cynthia Cadel, psychologues sociales

Photo : Chenille Cucullia verbasci (Brèche), 2018 Chapelain Mélissa

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